Martin Eden
Marilyn Leray – Cie Le Café vainqueur
création 2021
Martin Eden, un jeune marin de 20 ans issu des quartiers pauvres d’Oakland, décide de conquérir le coeur de Ruth, une jeune bourgeoise, dont il est tombé follement amoureux. Petit à petit, d’abord pour plaire à la jeune fille qu’il aime, puis par goût réel de l’apprentissage, il se forge une culture encyclopédique et projette de devenir un écrivain célèbre. Il souhaite ardemment gravir les échelons sociaux et réussir à intégrer la haute société, pour enfin se réaliser et “devenir quelqu’un”. Cette quête éperdue d’un idéal de classe fantasmé, mènera l’écrivain désabusé, au suicide.
Entretien avec Marylin Leray pour la scène nationale de Saint-Nazaire
Vous souvenez-vous de votre première lecture de Martin Eden ? Qu’aviez-vous ressenti alors ?
J’ai lu ce livre pour la première fois il y a 4 ans… Ce n’est pas un souvenir lointain ou une lecture d’adolescente. J’ai découvert ce roman suite à une discussion avec Catherine Bizouarn, directrice de la Halle aux grains, scène nationale de Blois à laquelle je suis artiste associée. Je cherchais une histoire d’amour avec quelque-chose de plus complexe. Elle m’a conseillée de lire Martin Eden. J’étais étonnée car je connaissais les textes dits « d’aventure » de Jack London mais j’avais vaguement entendu parler de Martin Eden. J’ai aimé retrouver cette histoire d’amour dans ce parcours incroyable et cette désillusion à la fin du roman mais aussi l’écriture très romanesque de Jack London. Il s’agit d’une langue très romancée, de l’ordre du souffle. Quand on rentre dans ce livre, on est pris par cette conviction forte, cette énergie de Martin Eden. J’ai l’impression que cela appartient à la respiration. Nous sommes avec lui, à côté de lui, nous souhaitons qu’il aille jusqu’au bout.
Pourquoi choisir ce roman pour l’adapter à la scène ?
Cela tient à l’histoire, aux problématiques de classe, de transfuge… C’est une histoire de place : à quelle place sommes-nous ? Et à quelle place avons-nous envie d’être ? Doit-on rester à notre place ? Ensuite, il y cette écriture magnifique mais je voyais bien qu’il existait un défi pour l’emmener au plateau et ramener l’histoire à aujourd’hui. J’ai ramené cette écriture à une forme de neutralité pour que ce soit plus contemporain.
Vous avez choisi de centrer la pièce sur les dialogues entre Martin et Rose (Ruth dans le livre) Quels ont été vos choix pour la scénographie?
Je suis metteure en scène et le dialogue me paraissait le meilleur endroit pour faire du théâtre. Immédiatement, le dialogue permet le théâtre. Ensuite, je voulais parler de la femme et donc de Rose. Comme je parle du conditionnement du milieu dans lequel nous naissons et dans lequel nous sommes éduqués, je trouvais que la position de Rose était parfaitement en contrepoint. Je ne voulais pas parler uniquement du milieu prolétaire. Quand on vit dans un milieu aisé, comment est-on formaté ? Quelle liberté a-t-on de faire ses propres choix ? Tout cela, je l’avais chez Rose. Dans les dialogues, leurs deux points de vue, à chaque fois, se confrontent. C’est intéressant au théâtre parce que ça crée des situations de conflit. Il y a souvent une incompréhension de part et d’autre. Même s’ils parlent la même langue, ils ne racontent pas la même chose. Cela peut créer de l’humour car l’un dit quelque chose et l’autre comprend autre chose. Nous avons réécrit certains personnages légèrement. Puis vient la place de la narration pour planter le décor et rassurer les spectateurs car le début est un peu énigmatique. La narration permet d’emporter le spectateur avec nous.
Que peuvent signifier aujourd’hui les termes « lutte de classes »?
Ce sont des termes qu’on n’utilise plus trop, n’est-ce pas ? J’ai le sentiment, pour être née dans un milieu plutôt prolétaire, que l’on sent assez bien ce que ça veut dire. Instinctivement. Il me semble quand même que cela existe encore et que le monde est plutôt dirigé par des classes dominantes. Je n’étais pas intéressée par la politique en montant cette pièce, dans le sens où ce n’est pas l’endroit où je voulais être. Mais plutôt dans l’incompréhension, comment on se considère et quels sont nos préjugés ? Il y a une forme de dureté entre les milieux qui empêche la communication. Le mépris appartient à tous les milieux. Je veux parler de ces choses établies qui peuvent difficilement bouger.
Que pensez-vous de l’œuvre de l’écrivain Jack London, qui fut lui-même un personnage de roman?
J’ai découvert le personnage à travers mes lectures. Jack London était une personne très engagée avec des convictions profondes, d’où le texte de Martin Eden qui a été mal compris à l’époque. Les bourgeois ne comprenaient pas pourquoi Martin Eden se foutait en l’air à la fin du roman alors qu’il avait réussi. Jack London était en colère. La critique est celle-ci : nous devons remettre en cause le modèle qu’on nous impose. Est-ce que la réussite consiste uniquement au fait d’accéder aux milieux aisés ?
Jack London est un espère d’ogre. Quand on voit tout ce qu’il a fait en si peu de temps ; rappelons qu’il est mort jeune. Tous ses textes sont très engagés politiquement, notamment ce texte documentaire, Le peuple d’en bas, sur le milieu ouvrier. Pendant trois mois, il s’est immergé dans un quartier très pauvre de Londres pour témoigner de la vie des prolétaires. On sort du romanesque. Il n’était pas qu’un écrivain d’aventures, il a été journaliste également, avec un destin fascinant. Sa conception de l’amour est aussi intéressante. Il a découvert l’amour avec sa deuxième femme avec laquelle il est restée jusqu’à la fin de sa vie. Il a écrit une correspondance avec une amie, intitulée L’amour et rien d’autre. Il était novateur sur la réflexion autour de l’amour qu’il concevait avec une certaine liberté.
La création devait avoir lieu en mai à La Halle aux grains. Finalement, vous créez ce Martin Eden au Théâtre de Saint-Nazaire. Avec une pièce comme celle-ci, dans une ville au passé très engagé, l’image est forte…
Symboliquement, en effet, Saint-Nazaire a longtemps été une ville de luttes. C’est émouvant car ma première expérience professionnelle a eu lieu à Saint-Nazaire, il y a 30 ans. J’étais comédienne et je jouais dans Marat-Sade de Peter Weiss, mis en scène par Christophe Rouxel. Nous jouions avec un groupe de chômeurs en fin de droit. Nous étions tous mélangés, professionnels et non professionnels, et je crois qu’il s’agit d’un de mes plus beaux souvenirs de théâtre. Le souvenir de cette création et le souvenir de cette humanité entre nous…
Ce spectacle est en tournée dans les Pays de la Loire, dans le cadre de Voisinages, dispositif soutenu par la Région des Pays de la Loire, pour encourager la diffusion des équipes artistiques. Tout le programme sur www.culture.paysdelaloire.fr
Distribution
avec Alexandre Alberts, Tibor Ockenfels, Florence Bourgès, Morgane Réal, Nicolas Sansier, Clément Vinette, Marilyn Leray création lumière Sara Lebreton scénographie Valérie Jung composition musicale Rachel Langlais création son Olivier Renet régie générale Pierre-Yves Chouin régie plateau Christian Cuomo construction Christian Cuomo, Jean Marc et Thierry Pinault création costumes Caroline Leray vidéo Marc Tsypkine De Kerblay peinture décors Sophie Lucas et Laurence Raphel © Clément Vinette
Production
production LTK Production
accueil en résidence Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire
coproductions Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire; La Halle aux grains, scène nationale de Blois ; Le Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique à Nantes ; Le Canal, Théâtre du Pays de Redon ; Théâtre Quartier Libre d’Ancenis _ en cours pré-achats et soutiens Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire ; Le lieu unique, scène nationale de Nantes ; Le grand R, scène nationale de La Roche-sur-Yon ; France Relance soutien financier Fondation E.C.ART- Pomaret
LTK Production/Compagnie conventionnée par la DRAC Pays de Loire, soutenue par le Département de Loire-Atlantique, le Conseil régional des Pays de la Loire et la Ville de Nantes
Marilyn Leray est artiste associée à la Halle aux grains, scène nationale de Blois